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Littérature - Digne les Bains - Prenant source dans la Haute Provence, mes romans entraînent les lecteurs dans la petite histoire des gens du peuple face à la Grande Histoire des Maîtres du Monde.

5 mai 2017

EXTRAIT - 1851- Marianne des Mées

 

 

1851 – Marianne des Mées

 

 

"La conscience vient au jour avec la révolte,

plutôt mourir débout que de vivre à genoux"

Albert Camus - L'homme révolté – 1951

       

 

 

C’était, en cette année 1850, un début de matinée du mois de mai promettant une journée de grande chaleur dans l’azur du ciel de Provence. C’était l’heure où l’on attendait au Pas de Marie la diligence qui assurait la liaison entre Manosque et Digne.

       Il n’y avait que deux paysans encombrés de leurs besaces pour profiter des services de la patache. Protégés du soleil par la frondaison de trois châtaigniers centenaires, bercés par les stridulations des cigales, paupières baissant la garde, moustaches en bataille, souquenilles à la couleur terreuse, chapeaux de feutre transpirant les travaux des champs et jambes pendantes sur le visage gravé de la Vierge, les deux compères lézardaient en branlant du chef, assis sur le rocher de l’apparition.

            - Oh, fan de chirchoule ! s’exclama subitement le père Laburlière, le plus vieux des deux compagnons.

            - Voïe ! Regarde moi ça qui vient ? ajouta-t-il en tapant du poing sur l’épaule de son acolyte pour le sortir de sa léthargie.

            Après une longue hésitation liée à sa vue défaillante, le Jules Sainfoure souleva son feutre et se passa machinalement la main sur le crâne avant de répondre :

            - Oïe, fan de pute ! De tout sûr, c’est la Marianne ! Mais elle est increvable !

            Devant eux, à quelques centaines de cannes, s’avançait lentement un semblant de vagabonde qui avait peine à se mouvoir. Du rocher de la Vierge, on apercevait son baluchon brandi au-dessus de sa tête.

            - Voïe ! Elle est prête à tout pour ne pas rater la foire de l’Empereur de Malijai, reprit le premier.

            Un corbeau croassa au loin.

            Les deux compères replongèrent dans leur chaude somnolence, la paupière mi-close sous le galurin pour observer les pas de la nouvelle arrivante. Ils avaient tout dit et plus rien à ajouter.              

            De son côté, Marianne avait le Pas de Marie en ligne de mire. Elle soufflait avant d’affronter le dernier faux-plat. Son ballot était accroché au bout d’un bâton qu’elle brandissait à la manière d’un porte-drapeau. Chaque pas la déséquilibrait dans ses sabots tailladés à la serpe et fissurés d’âge. Elle devait faire un effort pour ne pas se laisser emporter par le balancement de sa charge d’un côté ou de l’autre.

            Enfoncé sur ses oreilles, un vieux bonnet phrygien dont le rouge avait pris la couleur de la terre à force de sueur et d’intempéries lui donnait des allures de sorcière. Ses mâchoires vides de dents accentuaient le trait lorsqu’elle ouvrait la bouche par saccades pour retrouver un peu d’air. Sur son sarrau gris de noir délavé par l’usure, des restes de motifs laissaient deviner encore quelques taches de bleu enrobées d’un peu de rouge dont on ne pouvait déterminer le dessin d’origine.

            Lorsqu’elle atteignit le Pas de Marie, elle posa son barda à terre.

            - Le plus dur est fait ! s’exclama-t-elle en se parlant à elle-même sans se préoccuper des deux croquants qui la toisaient depuis leur rocher.

            - .... Fait déjà chaud pour la saison ! Viens t’asseoir à l’ombre, lui lança Laburlière, un brin ironique.

            - Moi, je ne blasphème pas la Vierge en prenant le rocher de l’apparition pour un siège.

            La réponse de Marianne était cinglante autant par respect de la gravure que par méfiance des occupants.

            Elle fit sourire les deux compères !

            Marianne faisait partie de ces vieilles qui, lorsqu’elles passaient par le Pas de Marie, avaient gardé l’habitude de se signer après avoir touché le visage de la madone. En voyant ces deux gredins assis sur le rocher, elle avait vite compris qu’aujourd’hui ce ne serait pas possible de céder à la coutume avant le passage de la patache.

            Mais peu importait !

 

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