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Littérature - Digne les Bains - Prenant source dans la Haute Provence, mes romans entraînent les lecteurs dans la petite histoire des gens du peuple face à la Grande Histoire des Maîtres du Monde.

7 septembre 2022

EXTRAIT - Ercilie d'Ourène, Baronne de Saint-Jérôme

 

Ercilie d'Ourène,

 

Baronne de Saint-Jérôme

 

    

    Ah ! 1610 ! L’année de mes vingt ans, le début d’une longue histoire, ma chère Antonine. Je m’en souviens comme si c’était hier, répétait la baronne pour la seconde fois afin de s’immerger dans la mémoire de son passé et d'éveiller la curiosité de sa filleule.

- Belle Marraine, je suis tout ouïe à vos dires et tellement impatiente de connaître ce que vous avez à me conter. J'attendais ce moment depuis si longtemps, répondait Antonine pour encourager son aïeule à se lancer dans le récit de sa vie.

- Au printemps de l’année précédente, en 1609, reprit alors la baronne après un léger temps de réflexion, je n’étais encore qu’une rose sans épines. Déjà mi-fanée, réduite à la soumission par la malédiction d’une jeunesse trop pleine de naïveté dans le face-à-face avec la cruauté humaine. Depuis plusieurs mois, je vivais le quotidien d’une besogneuse ayant déboulé par le hasard d’une mauvaise fortune en plein cœur de Paris, serrée comme bonne à tout faire au service d’une mégère et d’un fricoteur.

Faussaquet, c’était le nom du tire-laine, Faussaquête, le sobriquet de sa mégère qui se prétendait buandière. La nuit, ils m’enfermaient dans une souillarde et le jour à peine levé, j’étais à la tâche, soumise à leurs quolibets et à leurs violences. Ils me payaient en gifles, injures et coups de pieds au cul pour parler vulgairement.

Mais au cours de l’été 1609, j’avais réussi à fausser compagnie à mes geôliers et j’en étais plutôt fière. Une porte mal verrouillée, pendant une scène de ménage arrosée d'une piquette qui les avait fait rouler sous la table, avait suffi à m’offrir la clef des champs.

Seulement, la liberté conquise ne signifiait pas jours plus heureux pour qui, comme moi, avait déjà beaucoup croisé la tyrannie du mauvais sort.

Question refuge, dans la précipitation de ma fuite, je n’avais trouvé qu’un cimetière pour m’accueillir, celui des Saints-Innocents, ouvert de jour comme de nuit au tout-venant. À lui seul, le nom de ce reposoir pour vieux os faisait référence à la misère du quartier. Des tas de restants de crânes et de tibias appartenant à une foule de mal-fortunés s’empilaient à découvert dans des charniers jusqu’à hauteur d’homme.

De jour, les orbites de ces rebuts de squelettes fixaient malicieusement le visiteur entre les ridelles qui leur servaient de retenues. " Ils sont les gardiens du cimetière et portent le mauvais œil aux hérétiques et autres malsentants de la foi, " rapportait la rumeur à leur sujet. " Ceux qui ont osé se gausser de cette vérité ont connu triste fin, " affirmait la même rumeur pour emporter la conviction de celles et ceux qui doutaient de ses dires.

 

Et, le soir venu, le cimetière n’hébergeait pas que des macchabées. Toutes les compagnies bien vivantes de crève-la-faim, de pouilleux et de va-nu-pieds s’y pressaient comme des rats affamés, prêts à en découdre pour se faufiler dans les entre-tombes. Les places les plus disputées cerclaient une fontaine à trois faces  accolée à l’église des Saints-Innocents. On y lavait ses guenilles et on y priait par peur de toutes sortes de maléfices.

La nuit n’était pas toujours faite de beaux rêves, loin s’en faut, pour qui s’aventurait dans ce dortoir de misère. Il fallait prévoir sa trique et une bonne réserve de caillasses pour défendre sa place et veiller sur son maigre butin. 

Entre aube et aurore, les plus valeureux, surtout les femmes et leurs marmots, se mettaient en marche pour se disputer les places de mendigots sur les parvis des églises et des cathédrales.

J’en faisais partie...

 

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