Extrait - La magie du papillon
La magie du papillon
Morpho - Poète de l'imaginaire -
Été 1670 - C'était un début d'après-midi sans l'once d'une ombre, un après-midi complice d'un soleil qui dardait à l'aplomb et se gaussait des morts qu'il provoquait à ras de terre.
À l'extrémité de Digne, Notre-Dame-du-Bourg suffoquait. Tombes et caveaux qui cerclaient l'édifice étaient plaqués au sol, grillés par la chaleur, ventre à terre sous la pression de la fournaise.
Pas un seul visiteur pour déambuler dans les allées de ce cimetière, pas le moindre enterrement pour donner un semblant de vie aux âmes perdues sous terre. Seul à occuper le terrain, un escadron d'avettes bataillait les fleurs sauvages d'un talus d'ordures.
Et pourtant !
Pour qui voulait bien survoler du regard les restes de ce semblant de champ de bataille, alors, celui-là pouvait deviner les contours d'une forme statuaire, prosternée entre deux croix fraîchement recouvertes de noir.
Coiffée d'un voile blanc, agenouillée, immobile, les mains jointes, une jeune fille priait.
En se rapprochant discrètement, on pouvait déchiffrer deux noms inscrits à la peinture blanche sur les croix de bois noir.
Sur la croix de gauche, il était écrit :
Emerande Parpaillot – 1588-1670 -
et sur celle de droite
Ercilie d'Ourène – 1590 -1670 -
Un cœur était gravé sous chaque nom.
Entre deux versets répétés à l'infini pour implorer l'aide de
Antonine, c'était le nom de baptême de cette enfant.
Emerande Parpaillot était sa grand-mère, Ercilie d'Ourène sa marraine, toutes deux disparues à quelques semaines d'intervalle, emportées par la canicule d'un été sans pitié.
À peine âgée de treize ans, Antonine n'avait désormais plus de famille. Seule pour affronter la vie, son chagrin était à la hauteur de l'amour qu'elle avait toujours porté à ses deux aïeules : Immense !
Bien sûr, elle avait hérité de la vieille maison dans laquelle elle vivait, hier encore, en compagnie d'Emerande, sa grand-mère. Bien sûr, elle avait aussi hérité du château d'Oyse dans lequel elle n'avait pas encore osé pénétrer depuis la mort d'Ercilie, sa Belle Marraine comme elle l'appelait, de peur de se perdre dans la folie de la solitude.
Peu lui importait !
Le seul refuge pour l'enfant qu'elle était encore et qui n'avait plus goût à la vie, c'était le cimetière. Il était devenu sa seconde maison. Chaque après-midi, elle s'y rendait en courant pour retrouver la compagnie de celles qu'elle avait tant aimées.
Peu importait la chaleur assassine d'un été qui avait tué son enfance en même temps que ses aïeules, Antonine était là, prostrée pendant des heures entre ses deux croix, implorant de l'au-delà une réponse à sa peine.
C'est au milieu de l'une de ses prières à
- Belle enfant, pourquoi tant de chagrin dans vos yeux ?
Au son de cette voix qu'elle ne reconnaissait pas, elle crut d'abord qu'elle était en plein rêve. Elle essuya ses larmes dans l'espoir de se réveiller. Mais elle entendit de nouveau la voix qui répétait la même question. Alors elle regarda autour d'elle mais ne vit personne qui pouvait l'interpeller. Elle en conclut qu'elle était victime de ce satané soleil qui la plongeait sans pitié dans un état second.
En entendant la question pour la troisième fois, elle fut certaine d'être cette fois-ci la proie d'un coup de folie et se leva précipitamment dans le but de se sauver.
- Ne fuyez pas, Belle enfant, je ne suis pas le diable, seulement une réponse à votre malheur. Observez les tombes autour de vous, vous m'y rencontrerez.
Antonine leva les yeux. Elle ne vit qu'un grand et beau papillon bleu qui battait des ailes en virevoltant au-dessus de la terre fraîche des deux tombes. Indécis, le papillon finit par se poser sur la pointe de la croix d'Ercilie.
Puis de nouveau Antonine entendit:
- C'est moi qui vous parle, Morpho le papillon bleu venu d'ailleurs. Je suis le poète de l'imaginaire. J'ai pour mission de divertir tous les chagrins du monde.
...
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